La collection des affiches « Emprunt Acier » du GIS 

 

Après la Libération, est créé le Groupement de l’Industrie Sidérurgique (GIS). Émanation de la Chambre syndicale de la sidérurgie française (CSSF), le GIS est destiné à la collecte et la gestion de fonds, redistribués entre les entreprises afin de financer leurs programmes d’investissements. Sans garantie de l’État, le dispositif remporte pourtant un franc succès en raison de rémunérations flatteuses au regard de l’inflation, dans un secteur (la sidérurgie) qui passe pour être une valeur sûre.

Chaque année à partir de 1953 jusqu’en 1977, le GIS sollicite des artistes pour la création d’une affiche publicitaire qui s’adresse aux épargnants tant privés que publics. Outils de communication auprès du grand public, elles sont déposées dans les instituts bancaires à l’intention de la clientèle et apposées sur de multiples supports : grands panneaux publicitaires de la capitale, axes routiers en direction du Nord et de l’Est, flancs d’autobus, etc.

Le Féru des sciences conserve dans ses collections 18 exemplaires de ces affiches qui reflètent, pour partie, l’histoire de la sidérurgie et l’évolution des courants artistiques de la fin de l’époque moderne à la période contemporaine. Les méthodes de production pour la fabrication de ces affiches regroupent différentes techniques graphiques (sérigraphie essentiellement) et photomontages.

La signature la plus représentée de ce corpus est « Éric » du créateur Eric Castel avec 11 affiches datées de 1953 à 1970. Le choix des thématiques s’inspire naturellement du répertoire industriel figurant des « machines » nécessaires aux procédés de fabrication de l’acier  (haut fourneau, 1953 ; marteau pilon, 1954 ; usine intégrée avec cowpers, 1956 ; poche de coulée, 1959).


               

D’autres donnent à voir des produits finis issus de sa transformation (voiture, épingle à nourrice, 1955, 1957). Les objets sont stylisés, les contours minimalistes, les couleurs vives sont traitées en « à plat » sur fond noir et généralement superposées.


                                                      

A partir des années 1960, les représentations empruntent progressivement le chemin de l’abstraction qui devient acquise à la fin de la période (1966, 1970).
                                                                        

Le dynamisme ressenti grâce aux contrastes des coloris se renforce dès la fin des années 1950 avec l’introduction de la coulée (en jaune-orangé), fascinante incarnation de la matière-énergie des premiers forgerons et symbole du feu qui renvoie aux origines (1958, 1960, 1963).
                                              

D’autres affichistes sont sélectionnés dans les années 1960 et 1970. J. Jacquemin choisit la couleur et la transparence des motifs géométriques insérés entre les montants métalliques d’un pylône et d’un pont, qui dominent la noirceur d’une ville industrielle (1961) ou, plus colorée, une abstraction où se laisse deviner un réseau de fenêtres ouvertes sur un monde vert et bleu (1962). Sa production rappelle à la fois les vitraux Art Déco de Louis Majorelle des aciéries de Longwy et s’inspire du mouvement Expressionisme Abstrait né à New York au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. De ce dernier, on peut rattacher également les affiches signées Villemot (1964), Escoffon (1967), Aurion (1968) et Sellier (s.d.) où le monde sidérurgique est de plus en plus suggéré à travers des formes à peine reconnaissables du néophyte.
                                         
                                                                 

C’est au mouvement de l’art optique que l’on peut rapprocher les deux affiches signées J. C. Rousseau (1971, 1975), en particulier des œuvres du plasticien Victor Vasarely avec lesquelles elles partagent le graphisme si particulier, où l’illusion d’optique se manifeste, ici, par des contrastes bicolores.
                                                                      

Enfin, un seul photomontage complète cette série. C’est l’œuvre de Pro Diaz (1965). L’agencement et le reflet dans un miroir des différents produits issus de la fabrication de l’acier (tôle en bobine, fils, barres cylindriques, cornières, profilés divers) évoquent un simulacre d’une explosion de matière, des « faits d’art » comme les nomme l’auteur.
                                                                                             



Plusieurs remarques s’imposent à l’observation de ces affiches. La plus surprenante est l’absence de la figuration humaine, exclue systématiquement de toutes les représentations mais pourtant productrice, au sens noble, de l’acier. D’autre part, si les événements industrialo-politiques et économiques transparaissent peu, sinon pas du tout, on note surtout un décalage temporel dans les représentations industrielles et techniques de la sidérurgie. En effet les « process » semblent être restés figés au machinisme du haut fourneau, surreprésenté devant les trains de laminoirs, les coulées continues, les fours à oxygène, etc., dispositifs marquant la modernisation des chaînes de montage. Dernier constat comparable : aucune affiche ne s’inspire des nouveaux courants artistiques de la fin de la période comme le Pop Art, l’Art Conceptuel, le Land Art, etc., les plus « modernes » d’entre elles revendiquant leur appartenance aux divers courants de l’abstraction outre-Atlantique (à leur apogée à la fin des années 1950). Ces constats témoignent à la fois des postures des commanditaires quant aux critères qui ont prévalu aux choix des affiches, et des artistes, plus ou moins engagés dans les courants artistiques postmodernistes.

Sandrine Derson, 2023.

 La collection complète