LA boyotte 

                   

Au début du XIXe siècle, Neuves-Maisons est un village de vignerons. Conjointement à cette activité agricole, l’exploitation du minerai de fer – dont on trouve des traces de transformations métallurgiques antiques et médiévales en forêt de Haye – se développe à partir de la fin des années 1830 sur le site du moulin de la Presle à Chavigny, où est construit un petit haut fourneau fonctionnant au charbon de bois. Les métiers miniers et sidérurgiques qu’on y exerce sont encore artisanaux. Ainsi, les mineurs sont avant tout des ruraux qui complètent leur ordinaire paysan en travaillant en famille dans les galeries d’où est extrait le minerai.

Le bassin ferrifère lorrain a une surface de 100 000 hectares. Il s’étend du nord au sud de la Lorraine le long de la vallée de la Moselle sur environ 80 km avec une largeur maximale de 30 km. À une profondeur variant de quelques mètres à plus de 200, il contient un minerai phosphoreux à faible teneur qu’on appelle la minette. Géologiquement, il s'agit d'un minerai oolithique, c’est-à-dire composé d’oolithes, petites concrétions ferrugineuses sphériques de la taille d’un œuf de poisson (de 0,5 à 2 mm) formées à l’ère secondaire. C’est à l’époque industrielle que son utilisation connaît un essor inédit. Grâce au procédé des deux ingénieurs britanniques Thomas et Gilchrist (1877) qui permet la déphosphoration rapide et bon marché de la fonte, la minette devient exploitable à grande échelle dans les hauts fourneaux.

La situation de la commune de Neuves-Maisons dans la vallée de la Moselle lui permet de tirer profit du formidable mouvement d’industrialisation qui s’accélère au cours du XIXe siècle. Cet essor est amplifié par la construction du canal de la Marne au Rhin (1838-1852) qui inclut Neuves-Maisons dans un réseau de voies fluviales facilitant les échanges de marchandises.
C’est sur de vastes terrains entre la ligne de chemin de fer Nancy-Dijon et le Canal de l’Est que Victor de Lespinats (1838-1906), jeune diplômé de l’Ecole des Mines de Paris originaire de Limoges, décide d’implanter une usine sidérurgique de la Société Anonyme de Haute-Moselle qu’il fonde en 1872. Cette situation facilite la circulation des matières premières et des produits sidérurgiques.
L'usine utilise la minette dont la teneur varie selon les secteurs et les couches géologiques de 32 à 40 %, même si la couche moyenne la plus exploitée contient environ 35% de fer. Elle est extraite à la mine du Val de Fer dont la concession est ouverte en 1874. À la lisière de la forêt de Haye, les galeries minières sont même raccordées en 1885 par voie ferrée au port fluvial et à l’usine : c’est le chemin du « coucou ».

De 1874 à 1902, l’usine produit uniquement des fontes de moulage et d’affinage. En 1887, elle devient la Société Métallurgique de Champigneulles et Neuves-Maisons, laquelle est absorbée en 1897 par La Compagnie des forges de Châtillon-Commentry, société sidérurgique et minière française créée en 1862.
En 1902, 35 000 000 francs sont investis dans une aciérie de conversion de type Thomas. Elle permet de transformer la fonte en acier grâce à trois, puis quatre (à partir de 1908), convertisseurs. Outre les convertisseurs de l’aciérie Thomas, ils alimentent aussi un four Martin construit en 1909 dont les spécificités techniques permettent d’élaborer des aciers destinés à la construction mécanique et à la réalisation de tôles fines. En 1910, la création d’un train à fils produisant différents diamètres parachève la chaîne de production sidérurgique néodomienne. La construction d’une agglomération en 1961, où la minette puis les minerais qui la remplacent ensuite sont traités pour favoriser leur utilisation dans les hauts fourneaux, comme l’adaptation régulière de toutes les installations aux progrès technologiques tout au long du XXe siècle, montrent que l’usine se modernise. La disparition des boyottes en 1959 est emblématique de cette évolution. Ces petites locomotives à vapeur ont longtemps été les symboles de l’activité minière et sidérurgique néodomienne. Cependant, dans les années 1960, le contexte économique et industriel national et régional favorise le gigantisme pour lutter contre la concurrence des sidérurgies européenne et mondiale. Ainsi, à Neuves-Maisons comme dans toute la Lorraine du fer, on change d’époque.

L’usine de Neuves-Maisons était desservie par une voie interne de chemin de fer sur laquelle circulaient des locomotives à vapeur « La Boyotte ».

La Boyotte N°9, installée au Féru des sciences en 1965 fut utilisée de 1903 à 1953. Elle circulait sur un réseau de chemin de fer à voie de 77 cm d’une longueur de 1 km 400, qui servait au transport des lingots d’acier entre le hall de l’aciérie procédé Thomas, le hall de l’aciérie procédé Martin et l’entrée des laminoirs.Cette locomotive à vapeur de 70 CV de 1902 qui tirait une charge de 75 tonnes à 8/9 kilomètres à l’heure, fût construite par la société anonyme des Ateliers de construction de La Meuse parfois dénommée « La Meuse ». Il s’agit d’une entreprise belge, située à Liège, qui a notamment produit du matériel roulant ferroviaire, principalement des locomotives à vapeur. La Meuse a construit 1350 locomotives à vapeur de 1888 à 1958 dont la plupart ont été construites pour des réseaux industriels.
L'entreprise existe toujours sous le nom Les Ateliers de la Meuse, se concentrant sur la chaudronnerie, la mécanique et le montage d'ensembles de grandes dimensions dont les marchés principaux sont le nucléaire, le médical et le spatial.
Une autre boyotte, locomotive à vapeur de 100 CV portant le numéro 20, a été construite par un constructeur d’Hannovre : Georg. Eg a Torff Linden von Hannovre. Elle est mise en service le 11 décembre 1912 et exposée aujourd’hui à Messein près de Neuves-Maisons.

L’appellation « Boyotte » a été donnée aux locomotives à vapeur par les ouvriers de l’équipe d’entretien du Service Transports. Ce terme a une double étymologie : pour le patois lorrain, un belge est un Boyot, la Boyotte a été ainsi nommée car elle est de fabrication belge. En outre le terme Boyotte est une déformation du mot bouillotte « qui contient de l’eau bouillante ».

Julien Abraham, 2024.